L’horlogerie est souvent considérée comme une passion purement masculine, au même titre que l’automobile. Or, les femmes, longtemps perçues comme de simples « porteuses » de montres-bijoux, s’affirment de plus en plus comme amatrices éclairées, vendeuses et même expertes. En horlogerie, peut-être plus qu’ailleurs, les codes ont changé.

Le secteur de l’horlogerie est, encore aujourd’hui, considéré comme un milieu masculin. Pourtant, les montres pour femmes existent depuis des siècles. La première montre-bracelet aurait été créée pour Caroline Murat, reine de Naples, par Abraham-Louis Breguet vers 1811.

Avant cela, ce même A.–L. Breguet avait conçu pour la reine Marie-Antoinette une montre de poche, disparue puis recréée par la manufacture Bréguet en 2004 à la demande de Nicolas Hayek. Or, hommes et femmes n’auraient pas la même perception de l’objet-montre.

 

Pour ces dernières, il n’y aurait pas de signe extérieur de réussite sociale, comme chez les hommes. Ces dames seraient aussi plus sensibles à la beauté extérieure de la montre (marque, utilisation de matières précieuses et de gemmes) qu’à sa complexité intérieure (calibre, complications).

Elles la considéreraient donc plus comme un accessoire de mode ou un « bijou qui donne l’heure ». Une vision très manichéenne qu’il semble nécessaire de nuancer.

Mixité professionnelle

Tout d’abord, certaines maisons parviennent à concilier technicité et mode/joaillerie, comme Piaget, Bvlgari, Chanel ou Van Cleef & Arpels, dont les modèles de haute horlogerie créent l’événement aux Watches & Wonders. De plus, le genre féminin n’empêche en rien de s’intéresser à la mécanique. En témoigne Paola Lena, associée chez On Time Consulting et formatrice certifiée FHH auprès des maisons horlogères.

Elle-même avoue un attrait tout particulier pour les montres masculines et leurs complications. Elle note que de plus en plus de femmes sont présentes dans l’industrie, et ce à tous les niveaux : des « petites mains » au fauteuil de CEO, comme Ilaria Resta, chez Audemars Piguet. Même chez les détaillants, les filles osent de plus en plus reprendre les rênes de l’affaire familiale.

 

Selon Paola Lena, les femmes seraient les bienvenues dans ce milieu et auraient même une vraie carte à jouer. Par exemple, les clients masculins seraient agréablement surpris de se trouver face à une conseillère de vente démontrant un vrai savoir technique. Les choses évoluent, y compris sur le marché de la seconde main.

Travaillant depuis plus de dix ans dans le monde des ventes aux enchères, Justine Lamarre, consultante Spécialisée en horlogerie et joaillerie, constate un intérêt grandissant pour les montres dites « de dames ». Une appellation qu’elle rechigne à utiliser, tant la dichotomie « montres pour hommes/pour femmes » lui semble obsolète.

En effet, après avoir atteint des proportions démesurées au début des années 2000, les cadrans des montres hommes ont sensiblement désenflé, jusqu’à repasser sous la barre symbolique des 40 mm. Ainsi la Junghans Max Bill affiche 38 mm, voire même 34 mm. Des diamètres tout à fait compatibles avec un poignet féminin.

Unisexe

Le retour à des dimensions plus modestes, en accord avec la tendance actuelle du quiet luxury, encourage même ces messieurs à lorgner du côté des montres « de dames ». Les modèles Cartier, en l’occurrence, connaissent un vif succès, indépendamment du genre. Pour Justine Lamarre, cette tendance est aussi à mettre en parallèle avec le renouveau du bijou masculin.

Ainsi, par un remarquable retournement de situation, les femmes s’intéressent de plus en plus à la montre masculine, y compris dans ce qu’elle a de plus technique, et les hommes s’autorisent à arborer des montres-bijoux. Remarquable, mais pas étonnant si on se souvient que, par le passé, les hommes portaient autant, voire plus de bijoux que les femmes (pensons aux maharadjahs).

 

Souvenons-nous aussi que la montre bracelet était d’abord l’apanage des femmes, les hommes ne jurant que par la montre de poche. Ce n’est qu’au début du XX e siècle que certains pionniers, comme l’aviateur Alberto Santos-Dumont (à l’origine de la Santos de Cartier), et surtout les militaires de la Première Guerre Mondiale réalisent que porter une montre au poignet s’avère beaucoup plus pratique dans le feu de l’action.

Qu’elle soit masculine ou féminine, l’horlogerie est avant tout plurielle et c’est grâce à cela qu’elle a su faire preuve d’une extraordinaire résilience face aux crises qui ont jalonné son histoire.

L.B.